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Grand Oral

Edouard Philippe l’annonce : « 2019 sera l’année de la bagarre » de classe

A l'image de cet entre-soi de classe que cultivent les représentants politiques, Edouard Philippe a fait un discours mardi à Tours à l'adresse des députés LREM : nulle contestation, aucun brouhaha, que des applaudissements de bonne tenue. L'exercice était peut-être un peu facile. Pourtant, Philippe ne nous oublie pas. Il mentionne les « polémiques, les rumeurs » et les « mille reproches » qu'on pourrait faire au gouvernement. Mais il dépeint surtout un gouvernement en ordre de marche, qui compte bien aller au bout de ses contre-réformes.

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Nous sommes peut-être dans un « tourbillon » sans l’avoir remarqué ? Entre une critique un peu vaseuse de l’effet d’immédiateté induite par les médias actuels et le mépris assumé pour la contestation sociale et politique, qui ressemble, à écouter Edouard Philippe, à un vain bavardage, tout est bon, semble-t-il, pour dissimuler le degré atteint par la lutte des classes aujourd’hui. Dans un cafouillage qui semble s’approfondir depuis l’été, le gouvernement discrédite donc d’une part les contestations politiques et tente d’autre part de se présenter à nouveau à l’offensive.

Pour Philippe, le gouvernement doit agir et non prêter l’oreille à ces « petites phrases » que profèrent probablement d’anonymes beaux-parleurs, et qui ne sont que bruit de fond face à « l’essentiel » - c’est-à-dire les futurs chantiers des retraites, de l’hôpital public, de l’assurance chômage et de la santé au travail. Nous causons, apparemment, alors qu’ils ont les mains dans le cambouis de la transformation sociale.

Transformation qui a commencé fort, avec la loi Travail XXL et, au printemps dernier, Parcoursup. Edouard Philippe en tire de la « fierté » - on l’en croit capable. Le travail et l’école font l’objet de longs développements dans ce discours à visée interne, puisqu’ils construisent « l’émancipation » qui est, d’après Philippe, le grand projet politique de Macron. Le travail émancipe, et Parcoursup aussi, affirme-t-il avec un vrai talent d’instituteur à la mode IIIème République.

La « société de l’émancipation » est décrite comme une société où « les individus sont libres de faire leurs choix ». Pour assurer cette liberté, le gouvernement a choisi d’individualiser les parcours – c’est-à-dire de rendre plus pesantes encore les inerties sociales et les déterminismes. Un lycéen du lycée Fénelon à Paris et une lycéenne du lycée Branly à Chatellerault ont tous les deux la liberté de choisir leurs options – dans la réforme du lycée qui commence – et leurs orientations post-bac, dans la plateforme qui a été imposée aux lycées dans le courant de l’année dernière. Après tout, pour les deux, la plateforme est la même... Sauf qu’on a eu le temps de voir les résultats de ce tour de magie qui consiste à décréter que les déterminismes sociaux n’existent pas : comme on s’y attendait, ils sont revenus par la fenêtre.

La démarche est la même pour le travail que Philippe veut « valoriser » et qui apparaît selon lui comme l’unique moyen d’émancipation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le gouvernement – et Macron dans son discours à la mutualité de juin dernier – veut que tout le monde accède au travail. S’il n’ose pas la formule malheureuse de Sarkozy sur « le travail c’est la liberté », c’est probablement parce que Philippe a pris de bonnes leçons de cette histoire-là, mais, quant au fond, le propos est le même. Et grâce aux récentes modifications du Code du travail, là aussi la tendance est à l’individualisation des parcours et, à terme, des contrats : comme condition d’émancipation, on fait mieux.

A propos des retraites, à propos de la dépendance, Edouard Philippe ose pourtant le mot de « solidarité » mais pour expliquer immédiatement que la question qui se pose, c’est celle des « mécanismes de financement ». Depuis les premières réformes des retraites, les gouvernements successifs ont fabriqué les coordonnées d’un problème où ce qui est systématiquement mis en avant c’est à la fois l’allongement de la durée de la vie et le taux de chômage. Rebelote avec Philippe – sans surprise, puisque c’est si pratique d’oublier de prendre en compte l’augmentation de la richesse produite dans un tel calcul. Il faudra donc se financer ailleurs et autrement, de toute évidence en faisant jouer les marchés financiers : c’est ça, la solidarité version Macron / Philippe, un « nouveau monde » qui lorgne sur les Etats Unis et leurs si magnifiques fonds de pension.

Pour enfin galvaniser ses troupes autant que saurait le faire un instituteur des années 1910, Philippe annonce la « bagarre » des européennes avec un enthousiasme à remuer une crème anglaise. Une Europe forte, où les patrons s’enrichissent mieux au sein de la mondialisation, dans le camp progressiste, contre le camp des extrêmes droites qui propose de se replier sur les capitalismes nationaux et qui se plait à dépeindre les petits patrons locaux comme des artisans du bonheur public. Philippe en témoigne, c’est l’appel du large qui anime la bourgeoisie, ses embruns financiers et ses grandes vagues de profits – les mêmes qui noient les exilés qui s’essaient à survivre en Méditerranée, sans doute.

Bref, le champ est dessiné, les coordonnées sont données, les positions prises. Edouard Philippe a convaincu tout le monde dans la salle. Tous les députés LREM, donc. Les autres n’ont qu’à bien se préparer. Et tenir.


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