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Les ripoux de la République

Comment de nombreux députés se sont fait offrir des permanences par l’Etat

Une enquête de Franceinfo publiée ce vendredi 25 novembre dévoile une machine bien huilée qui permet aux députés d’acheter pour leur compte leur permanence parlementaire avec l’argent public et ainsi se faire une petite plus-value. Retour sur cette pirouette tout à fait légale qui est un exemple de plus de ce qu’est leur République.

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Crédits photos : AFP / FRANCEINFO

Un système tout à fait légal

Fin de partie. A partir de janvier 2018 cela ne sera plus légal, la magouille dénoncée par France Info ne sera plus possible, l’enveloppe de frais de mandat (IRFM) laissant sa place à un système de remboursements sur justificatifs. L’IRFM consiste en une enveloppe mensuelle de 5 840 euros brut permettant à chaque député de faire face aux dépenses liées à l’exercice de sa fonction (bureaux, déplacements, repas, etc.). Elle vient s’ajouter à l’enveloppe dédiée à la rémunération des collaborateurs, ainsi que du salaire de l’élu qui est de 7 210 euros brut. Ce changement de fonctionnement exposera les députés aux contrôles de leurs dépenses, qui étaient jusque-là inexistants. Cette enveloppe a permis à de nombreux députés d’acquérir des biens grâce à l’argent du contribuable notamment grâce à l’achat de leur permanence parlementaire.

Ces locaux sont utilisés par les députés pour recevoir le public en circonscription. Pendant leur mandat, certains élus ont fait le choix d’acheter leur bureau, parfois grâce à un emprunt à taux réduit de l’Assemblée nationale. Ils ont alors remboursé les mensualités ou se sont versé un loyer avec leur enveloppe de frais de mandat. En clair, de l’argent public a servi à financer le patrimoine personnel d’élus de la République et ce, à grande échelle puisque sur les 152 députés qui ont répondu à Franceinfo, 71 admettent être propriétaires de leur permanence, ce qui fait presque un député sur deux et 32 d’entre eux ont reconnu avoir utilisé leur IRFM, au moins partiellement, pour financer l’acquisition d’une permanence parlementaire.

De permanence parlementaire à bien personnel

Une fois leur mandat terminé, certains députés cherchent à vendre ou mettre en location leur permanence. D’autres la garde pour y vivre ou ont choisi de la transmettre à leurs enfants. A Hondschoote, dans le Nord, Jean-Pierre Decool, nouveau sénateur divers droite, a conservé sa permanence et l’a transmise à sa fille qui y a fait un salon de toilettage canin. A Grenoble, l’ancien maire socialiste Michel Destot a lui fait don de sa permanence à ses enfants. Ils sont, depuis 2011, les propriétaires de l’appartement, estimé à 154 000 euros, qui lui servait de permanence.

Certains se font une jolie plus-value en la revendant. C’est comme cela que Jean-Jacques Urvoas est visé par une plainte pour « détournement de bien public ». En effet, l’ancien député PS du Finistère et ex ministre de la Justice a utilisé son indemnité représentative de frais de mandat pour acheter sa permanence à Quimper, dont il est resté propriétaire après sa défaite aux législatives de juin. Une association anticorruption, Cicero 29, lui reproche un « enrichissement personnel », qu’elle estime à plus de 200 000 euros. Dans son rapport 2016, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique avait déjà alerté sur l’« accroissement sensible du patrimoine » de certains députés, du fait notamment de « remboursements d’emprunt provenant de leur IRFM ».

Or, ce système des acquisitions de permanences, qui consiste à utiliser des fonds publics pour financer un patrimoine personnel, est ancien, légal et largement généralisé. Il a fallu attendre 2015 pour que l’Assemblée nationale interdise aux élus d’acheter leur permanence parlementaire avec leur IRFM. Franceinfo donne des noms et des exemples concrets permettant de voir l’ampleur de se détournement de fond généralisé des élus de la république.

Un vol totalement assumé

Geneviève Fioraso, ancienne ministre socialiste de l’Enseignement supérieur, responsable avec sa loi éponyme de la casse de l’université public dans la continuité du processus de Bologne, n’a pas hésité à piocher dans les caisses lorsqu’elle en enlevait aux facs. Elle a acheté un local dans le centre de Grenoble en 2007 grâce à un prêt à taux réduit de la part de l’Assemblée nationale, un dispositif supprimé en 2010. Alors qu’elle assume pleinement son acte elle dénonce ce système de « démagogie » qui vise à taper sur la classe politique.

François Sauvadet, ancien ministre de la Fonction publique, va plus loin et explique que pour lui « dans la durée, l’achat s’est révélé un bon calcul économique ». Pour 124 000 euros, en 1994, il a fait l’acquisition d’une maison à 50 km de Dijon et avait remboursé son prêt avec ses frais de mandat. « Cela permet à mon IRFM de servir à d’autres usages au service de mes concitoyens », justifiait-il vers la fin de son mandat, en 2015. Aujourd’hui président du conseil départemental de la Côte-d’Or, François Sauvadet peut toujours profiter du bâtiment et de sa piscine extérieure mais on peut supposer que ces concitoyens ne doivent pas aller s’y baigner bien souvent.
Idem pour la députée socialiste du Finistère Patricia Adam qui s’est achetée un appartement en plein cœur du centre-ville de Brest pour 88 769 euros. Elle l’a « entièrement financé avec l’IRFM, en remboursant pendant dix ans. Pendant mon dernier mandat, je ne me suis pas versé de loyer, ça n’a rien coûté. »

Un système de rentier

Lorsqu’ils n’en profitent pas eux même, certains louent leur local. Ainsi, l’ex-député Les Républicains de Haute-Savoie Marc Francina, maire d’Evian-les-Bains, reconnaît avoir déjà « remis en location » son local acheté pour 106 715 euros et il dit ouvertement n’avoir « aucun état d’âme » sur son utilisation de l’IRFM.

En 2013, via sa société civile immobilière (SCI), le député LR de Seine-et-Marne Guy Geoffroy a revendu, pour 150 000 euros, son bureau acheté dix ans plus tôt pour 89 000 euros. Dans le Nord, le Républicain Thierry Lazaro a presque réussi à tripler le montant initial, acheté 53 000 euros en 2004 dans la commune dont il est maire, Phalempin, revendu, en 2016, pour 140 000 euros.

Certains n’ont pas voulu répondre à Franceinfo mais semblent avoir largement profité du système. Comme le secrétaire général des Républicains et ancien président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, qui a déboursé 74 500 euros constants pour un bien à Annecy, où il accueillait ses concitoyens. Luc Chatel, ex-ministre LR de l’Education nationale a acheté sa permanence de Chaumont en 2003 pour 211 000 euros et l’a revendue en 2014 pour 280 000 euros.
L’ex-ministre LR de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet s’est acheté une permanence avec tennis et piscine à Longpont-sur-Orge, achetée pour 891 800 euros en 2002, revendue en 2013 pour 1 210 000 euros.

Quand il y a des magouilles dans l’air, le maire LR de Levallois-Perret, Patrick Balkany, n’est jamais très loin. Il explique avoir acheté sa permanence de la rue Trébois en 1978, avec ses fonds personnels, avant de la revendre en 2007. Mais il se fait plus énigmatique lorsqu’on lui demande s’il s’est versé un loyer avec l’IRFM lorsqu’il était député : « L’IRFM a servi à financer le fonctionnement de mon mandat ». On imagine ce qu’il en est lorsque l’on sait que le clan Balkany a tendance à confondre les portefeuilles de la mairie et leur portefeuille personnel. Même si Isabelle Balkany affirme que « Jamais, jamais, jamais, il n’a touché un loyer » lorsqu’il était propriétaire on ne peut qu’en douter, elle qui n’a jamais hésité à se parjurer.

Jean-Luc Mélenchon, n’est pas en reste. Voyant venir le scandale il a pris les devant il y a quelques semaines. L’ancien sénateur socialiste de 1986 à 2000 puis de 2004 à 2010, avait acheté sa permanence parlementaire située à Massy avant de la revendre pour financer sa campagne présidentielle de 2012. Les frais de cette campagne électorale lui ont été remboursés puisque son score a dépassé la barre des 5 % ce qui fait que c’était tout bénef pour lui. Il a beau dire que c’était légal et qu’on voit le mal partout, il n’empêche que celui qui veut se présenter comme irréprochable a bel et bien pioché dans la caisse comme les autres.

Un système encouragé par les instances

Le député PS de l’Allier Bernard Lesterlin, affirme qu’il louait un local depuis deux ans quand il a été interpellé par les services de l’Assemblée. « C’est un peu idiot, vous devriez acheter, à Montluçon le marché est très peu cher », lui aurait dit le Palais-Bourbon. L’élu affirme avoir alors acheté, en 2009, un appartement de 130 m².

Son collègue de Moselle, Michel Liebgott, lui, utilisait gracieusement un bureau acheté sur ses deniers personnels. En 2015, lorsque les règles devenaient plus strictes, il a pris rendez-vous avec le déontologue de l’Assemblée. « Le déontologue m’a dit ’Vous pouvez tout à fait vous verser un loyer’ », affirme le socialiste. Dès lors, il s’est versé un loyer de 700 euros par mois avec son IRFM, jusqu’à la fin de son mandat.

En effet, face aux critiques, les anciens députés ayant conservé leur permanence insistent tous sur le caractère légal de l’opération qui était « autorisée », « conseillée » et même « demandée » par l’Assemblée nationale. « C’était un avantage des députés », reconnaît l’Amiénois Alain Gest, qui s’élève contre la réduction des privilèges des députés et contre la « suspicion détestable » qu’ « on fait peser » sur eux. En même temps, on ne prête qu’aux riches et l’accumulation de scandale ne nous font aller que dans ce sens. « On avait des semaines de travail du lundi au lundi, presque sans temps de pause », se défend l’ex-socialiste de Haute-Garonne Françoise Imbert. Un ouvrier qui fait les 3x8, qui subit la pression de sa direction et qui n’est pas sûr que dans les mois à venir que sa boîte ferme devrait dans ce cas là pouvoir avoir à vie un logement de fonction, une voiture de fonction avec chauffeur comme les députés et les ministres.

Des voix dissonantes s’élèvent

Comme toujours dans ces moments là, il faut une certaine caution moral, mais ce n’est qu’une triste tentative pour cacher la forêt à l’aide d’un bonsaï. Christophe Léonard, ex-député PS des Ardennes, explique clairement que « c’est une appropriation privée de moyens publics qui est plus que condamnable ». Il a raison et ce n’est pas avec la fin de l’IRFM que tout va changer. En effet, ce sont les députés qui font les lois et les votent. Alors si le nouveau dispositif devrait, en théorie, empêcher les nouveaux députés d’imiter leurs prédécesseurs en faisant de belles affaires immobilières, on ne peut qu’imaginer qu’ils trouveront le moyen de contourner les règles puisque ce sont eux qui les fixent.


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